Le tifo de la discorde
- Éditions Respublica
- 14 janv.
- 7 min de lecture
Le 6 novembre dernier l’ambiance est à la fête au Parc des Princes, l’enceinte parisienne s’apprête en effet à accueillir une rencontre européenne entre les footballeurs du PSG et les cochoneros de l’Atlético de Madrid, un duel décisif dans la course à la qualification pour la phase finale éliminatoire de la prestigieuse Ligue des Champions.
Au terme d’une triste soirée pour les joueurs parisiens, dominés 2 buts à 1 par leurs homologues madrilènes, c’est une animation proposée par le Collectif Ultras Paris (CUP), principale association ultra du club de la capitale, qui alimentera débrief et réactions. La raison : le déploiement d’un tifo à l’entrée des vingt-deux acteurs arborant le slogan « Free Palestine : La guerre sur le terrain mais la paix dans le monde », un message entendu et largement commenté sur la scène politique poussant même le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à affirmer que sport et politique ne peuvent être conjugués. Retour sur un alliage qui n’a rien d’anodin, étendard reflet de notre société.
Les supporters ultras parisiens du CUP souffraient d’une regrettable gueule de bois au réveil du 7 novembre dernier. Malheureusement pour eux, elle n’est en rien le motif d’une nuit agitée par les vapeurs de verres alcoolisés provoquant joie et rires motivés par une victoire de leurs protégés la veille en Ligue des champions contre l’adversaire madrilène. En plus d’une bien terne prestation parisienne défait devant leur public, les ultras pensionnaires de la tribune Auteuil, virage situé derrière l’une des deux cages du Parc des princes, étaient dans le viseur d’une partie de la classe politique française, mis au pilori sur la place médiatique.
Retailleau : « La politique abime le sport »
La politisation des tribunes du Parc des Princes a souvent agité la chronique dans le passé, elle n’avait cependant pas créé de remous depuis la fin des années 2010 et la confrontation entre la très nationaliste tribune Boulogne et le cosmopolite virage Auteuil. Il faut croire que la nouvelle pulsion belliqueuse de l’administration Netanyahou, investissant le sud du Liban à la fin du mois de septembre dernier, poussait les afficionados du PSG à diffuser une position affirmée sur la question. Leur message communiqué sur une grande bâche de peinture épousant l’ensemble du virage parisien à l’entrée des joueurs, affirmait un franc soutien à la cause palestinienne et aux massacres en cours dans le Moyen-Orient, « Free Palestine, la guerre sur le terrain mais la paix dans le monde ». La forme interroge les premiers observateurs critiques de l’animation parisienne. En arrière-plan, on peut observer un drapeau palestinien ensanglanté associé au drapeau libanais brandit par un enfant aux côtés de la mosquée al-Aqsa de Jérusalem, plus vieille mosquée de la capitale israélienne, au centre de la représentation. Au premier plan, un soldat recouvert par un Keffieh palestinien à gauche du slogan, le tout est associé au message invitant à la paix inscrit sur une seconde banderole au pied de la tribune.
Si le message pouvait se démarquer par son caractère explicite d’un « appel à la paix entre les peuples » selon le communiqué de l’association ultra diffusé le lendemain de la rencontre, les réactions seront vives et dénonceront un appel à la haine, motivé en partie par le « i » de Palestine représentant le territoire de l’actuelle Israël recouvert par les motifs blancs et noirs, caractéristiques du Keffieh. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau (LR) fidèle à lui-même s’est fendu d’une réaction ne tendant pas vers la demi-mesure en déclarant que « la politique ne doit pas abîmer le sport » dénonçant le message diffusé, et saisissant la FIFA, institution mère du football mondial, pour condamner cette prise d’initiative des ultras parisiens. En condamnant ce soutien à Gaza, guidé par la doxa étatique relative au conflit refusant de reconnaitre le caractère génocidaire de la riposte du gouvernement nationaliste israélien, la question sous-jacente s’oriente sur la place de l’expression politique dans le sport contestée par le gouvernement, déstabilisatrice certes, mais demeurant un des prégnants rouages de l’arène sportive contrairement à ce qu’affirme Bruno Retailleau sur le sujet, commettant un malheureux écart.
Le sport comme vitrine des luttes politiques
Sans être un acteur du sport stricto sensu, sociologie et perspectives symboliques affirment une porosité entre l’arène sportive et l’objet politique. Jeux olympiques, essor des mouvements hooligans, ultras et autres récupérations politiques renforcent la place du football et du sport dans ses manifestations comme véritable champ d’expression politique, et ce depuis l’après-guerre.
Pourtant jusqu’au milieu du 20e siècle, le stade est considéré comme un espace apolitique. Cette conception du non-partisanisme politique dans le sport est en réalité directement une réaction aux actions des régimes totalitaires. Véritable vitrine pour les régimes fascistes, nazi et soviétique, le sport était l’occasion d’opérer une mainmise sur les fédérations et organisations sportives nationales en instrumentalisant les performances des champions à des fins de propagande. Dans ce contexte, la neutralité politique du sport devient un enjeu majeur dans les régimes néo-démocratiques, une idée illustrée par la charte olympique et son article 50 affirmant qu’ « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique.” ».
La lettre est claire donc. L’esprit opérera une variation, notamment outre-Atlantique aux Etats-Unis au cœur des sixties avec la montée en puissance du mouvement d’émancipation des Noirs et de la lutte pour les droits civiques. Des champions emblématiques vont prendre publiquement position, comme le boxeur Mohammed Ali qui multipliera les déclarations en faveur de la justice raciale, de la justice économique dans les ghettos noirs ou encore contre la guerre du Vietnam. Dans un sens similaire, Tommie Smith, athlète noir américain avait levé son poing ganté de noir pour marquer son sacre lors du 200 mètres d’athlétisme des JO de Mexico en 1968, salut des Blacks Panthers. L’histoire de l’engagement politique des sportifs se poursuit au XXIe siècle avec la mort de George Floyd, cet Américain noir tué le 25 mai 2020 par un policier lors d’une interpellation. Des sportifs reconnus comme la footballeuse Megan Rapinoe ou les basketteurs de la NBA prendront position en mettant un genou à terre avant chaque rencontres, signe d’adhésion au mouvement des « Blacks Lives Matter ». Enfin, comment ne pas évoquer la fronde menée à l’encontre de la coupe du monde de football qatarie de 2022, où les équipes nationales allemande et norvégienne pour ne citer qu’elles, s’étaient dressées contre sa tenue au motif du balayement notoire des droits humains et environnementaux.
La politique comme variable constitutive de l’identité ultra
Du côté des supporters, une plus ample porosité caractérise des liens bien étroits avec l’objet politique.
La consécration du mouvement ultra, regroupant ces associations de supporters véritables poumons visuels et audibles, fer de lance de l’ambiance des stades de football, valide l’existence d’une politisation des tribunes. Ces derniers, développés à la fin des années 60 en Italie, héritage des mouvements étudiants transalpins de l’époque, arriveront en France au milieu des années 80. Si la plupart des associations revendiquent aujourd’hui une politisation apartisane, nombre d’entre elles incluaient une variable politique dans la constitution de leur identité dans un souci de démarcation des bandes fascistes hooligans. Ainsi les stades étaient en proie à l’exhibition de slogans antifascistes, anti-racistes pour les associations de gauche, anti-immigrés pour celles d’extrême droite. Au cours des années 2010, l’acquisition d’une place en tant qu’acteurs à part entière dans l’écosystème des clubs et de l’environnement footballistique poussèrent ces associations ultras à effacer leur appartenance politique pour fédérer et assurer un véritable rôle de syndicat dans leur club, porte voix d’un football populaire, contre le football business, tout en assurant la liberté du mouvement dans son ensemble.
Cette auto-mise au pas de l’identification politique des groupes ne contraint pas pour autant le stade comme théâtre d’expression de slogans et messages politiques. Le seul cas gazaoui mobilise particulièrement l’attention des supporters, précurseurs en la matière. Ainsi les ultras du CUP n'en sont pas à leur coup d’essai et avaient déjà affirmé un précédent soutien à la cause palestinienne en 2022. Ils ne sont pas isolés dans cette entreprise de soutien comme en témoigne les virages du rival marseillais régulièrement habillé aux couleurs palestiniennes. D’autres groupes étrangers comme les supporters de Bilbao en Espagne, Liège en Belgique ou encore ceux de Sankt-Pauli, quartier hambourgeois en Allemagne, répètent hommages et soutiens à Gaza. Les pionniers resteront les ultras écossais de la Green Brigade du Celtic Glasgow. La métropole Glaswégienne étant le berceau d’une forte diaspora catholique irlandaise, les fans du Celtic s’associent régulièrement aux luttes du peuple irlandais, l’Irlande étant l'État de l’Union Européenne soutenant le plus la Palestine, au gré d’une convergence des luttes entre deux populations qui furent opprimées. Ainsi rappelons à Bruno Retailleau que l’objet politique s’est toujours mué avec la vie des tribunes.
Les tribunes comme reflet sociétal
Les diverses réactions aux propos du ministre de l’Intérieur interrogent légitimement la place de la liberté d’expression dans la vision qu’il exprime d’une d’incompatibilité naturelle entre le sport et la politique. Soulignons que le slogan « Free Palestine » est une référence directe à une lutte contemporaine ayant un certain écho dans le débat public français et européen en ralliant une somme d’individus et d’associations. La condamnation de son expression dans une tribune par un ministre en exercice serait-il précurseur d’un verrouillage latent des opinions contraires, aussi différentes soient-elles, exprimées dans la sphère publique ?
L’embellie des Jeux olympiques au cours d’une période estivale rêvée pour les responsables politiques confirme l’ambition et la vision du sport en tant qu’objet hermétique aux évènements clivants. Pour sûr, la grande fête sportive apaisait une société pénétrée par les divisions et confrontations, le sport reste néanmoins un catalyseur de luttes, un lieu d’expression et de revendication de par la visibilité qu’il augure. Cette conception du sport ne met pas de côté sa nature fédératrice, néanmoins l’activité des tribunes reste un moyen de mesurer le pouls d’une société, faisant écho aux maux et différentes tendances. L’élévation d’une partie de la classe dirigeante contre un tifo porteur de messages politiques, en contestant sa vision mais surtout sa présence, traduit bien l’état de crispation dans lequel le débat public est englué. Finalement le sport, son activité et les passions qu’il engendre, contiendra toujours une variable politique, qu’elle soit exprimée ou contenue.
Simon Gendrel
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