La dissolution est-elle la solution ?
- Éditions Respublica
- 26 mars
- 5 min de lecture
"Liberté pour les ultras", c’est par ce slogan commun que les ultras de chaque tribune française revendiquent depuis des années leur mécontentement vis-à-vis de la politique menée par les plus hautes instances politiques.
Les mesures répressives à l’encontre des ultras français (limitation voire interdiction de déplacement, interdiction de stades, interdiction d’afficher leurs couleurs, escorte policière…) n’ont cessé d’augmenter d’année en année. Elles ont atteint leur paroxysme ces dernières semaines suite à la menace de dissolution brandie par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau de trois groupes ultras historiques du football français, les Magics Fans et Green Angels de Saint-Etienne et la Brigade Loire du FC Nantes.

Il paraît évident qu’il existe aujourd’hui un réel problème dans notre pays dans la manière d’aborder la gestion des supporters.
Il est donc nécessaire de comprendre l’origine et le quotidien des groupes ultras pour prendre la mesure des conséquences qu’auraient la dissolution d’une partie de ces derniers.
Les ultras sont définis couramment comme des supporters passionnés qui encouragent leur équipe de manière fanatique et organisée.
Ce mouvement naît dans les années 1960 dans une Italie qui traverse de profondes transformations sociales. A l’origine, les ultras sont des manifestants et supporters d’ultra-gauche souvent assez jeunes qui décident de se regrouper au sein des tribunes derrières les buts de leurs clubs pour encourager avec ferveur leurs couleurs. Ils adoptent dès le départ au sein des travées, les pratiques propres aux mouvements politiques radicaux (culture de l’anonymat, indépendance à l'égard des institutions, solidarité entre membres et auto-financement).
Le mouvement ultra va par la suite au cours des années 1970 et 1980 se propager à travers toute l’Italie dans un premier temps puis toute l’Europe par la suite. Il arrive en France en 1984 par la cité phocéenne avec la création du Commando Ultras puis se développe ensuite dans tous les clubs de l’hexagone.

Les ultras démontrent leur attachement à leur club par divers moyens. Ils entonnent par exemple des chants et animent leur tribune (drapeaux, fumigènes, écharpes) durant toute la rencontre sous la direction d’un capo. Ils peuvent également créer des tifos (animation visuelle sur toute la tribune) destinés à être déployés à un moment clé de la partie, souvent l’entrée des joueurs. Enfin, ils organisent des déplacements à l'extérieur pour aller encourager leur équipe. Lors de ces déplacements ils sont placés dans une partie qui leur est réservée, le parcage.

Les groupes ultras se définissent pour la plupart comme apolitiques. Ils sont un endroit où se réunissent des personnes d’origine sociale et culturelle différente dans un seul et unique objectif, démontrer leur amour pour leur club. Cela n'empêche cependant pas certains groupes de revendiquer une certaine idéologie, parfois extrême.
Des membres des groupes Lyon 1950 ou des Bad Gones, supporters ultras de l’Olympique Lyonnais ont à plusieurs reprises été mis en cause par le passé dans des affaires de xénophobie.
A l’étranger, le club de la Lazio Rome est gangrené depuis des années par ses supporters qui n’hésitent pas à afficher de manière ostentatoire leur racisme en tribune.
Enfin le Collectif Ultras Paris, principal groupe ultra du club de la capitale a quant à lui déployé un tifo en l’honneur de la Palestine accompagné d’un keffieh lors de la rencontre de Ligue des Champions du 6 novembre dernier face à l’Atletico Madrid qui a fait polémique dans les plus hautes sphères politiques de notre pays.
La violence au sein des groupes ultras est aujourd’hui un sujet tabou. En effet, encore beaucoup de personnes aujourd’hui ont des préjugés sur les supporters de football et notamment les ultras. Ils sont vus comme beaufs, idiots et agressifs. Ces préjugés sont renforcés par les reportages ou les articles de journaux qui ne cessent d’entretenir l’amalgame entre hooligans et ultras. En réalité, le fossé est grand entre les deux. Comme expliqué auparavant l’objectif des ultras est d’encourager par tous les moyens possibles leur équipe. Les hooligans sont quant à eux une autre forme de supportérisme, qui fonde ses actions sur les confrontations violentes avec d’autres groupes hooligans pour des raisons qui vont parfois au-delà de l’enjeu sportif (oppositions sociales, politiques, culturelles…). Le hooliganisme est associé à plusieurs drames par le passé comme le drame du Heysel. Ce jour de finale de Ligue des Champions 1985 au stade du Heysel de Bruxelles, les hooligans de Liverpool décidèrent d’attaquer la tribune des supporters turinois, ce qui causa la mort de 39 personnes suite à l’effondrement d’un mur causé par le mouvement de foule. Même si la violence de certains membres des groupes ultras ne peut être niée, comme cela a pu être le cas en mai dernier à l'occasion de la finale de la Coupe de France lorsque deux groupes de supporters lyonnais et parisiens s’affrontèrent au niveau du péage de Fresnes-lès-Montauban. Cela reste une minorité dans le quotidien des mouvements ultras.
Ils sont en réalité instrumentalisés massivement par les médias qui ne cessent de démontrer les failles des groupes ultras et entretiennent un amalgame entre hooligans et ultras au sein de l’opinion publique. Les groupes ultras jouent un véritable rôle sur le plan social, ce que trop de personnes ignorent. Plusieurs d’entre eux organisent notamment des actions solidaires comme l’organisation de récolte de sang ou de plasma, ou encore la récolte de jouets pour les enfants malades au moment des fêtes de fin d’année.
Par ailleurs, ils ont un véritable rôle de rapprochement entre tous les supporters de leur club qui n’ont parfois que ce dernier pour leur offrir des moments de partage et d'évasion.
Enfin ils sont un véritable rempart contre l’explosion du football-business en dénonçant chaque semaine au sein des tribunes, les dérives autour par exemple des droits-télés ou encore de la multi-propriété. Ils ont un véritable pouvoir d’influence sur leur club en travaillant en collaboration avec ce dernier, tout en étant indépendant.

Les restrictions subies depuis des années par les ultras français sont profondément injustes et n’ont parfois aucun fondement. Les supporters sont privés au sein du pays des droits de l’Homme d’une des libertés les plus fondamentales, celle de circulation, sous prétexte de potentiels troubles à l’ordre public. Les instances privilégient l’interdiction au dialogue.
Si la menace de dissolution des Magic Fans, des Green Angels et de la Brigade Loire venait à être définitivement appliquée, elle serait perçue comme l’acte de trop pour l’ensemble des ultras francais qui se sentiraient une énième fois catalogués et discriminés par des acteurs qui ne connaissent en rien la réalité de leur mouvement.
Ces dissolutions seraient par ailleurs totalement contre-productives. En effet la disparition de ces groupes associatifs laisserait place à des groupes non structurés qui pourraient s’avérer pour le coup beaucoup plus violents car n’ayant pas de comptes à rendre comme l’explique Romain Gaudin, porte-parole de la Brigade Loire, dans les colonnes de Ouest France. Elle conduirait enfin à une baisse d'attractivité pour les clubs de l’AS Saint-Etienne et du FC Nantes qui sont depuis plusieurs années plus mis en avant pour leur spectacle affiché en tribune que par leur jeu proposé sur le terrain.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire que des dialogues constructifs soient repris entre les ultras et les différentes instances politiques pour que de telles mesures ne soient jamais appliquées.
Axel Lechartier
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