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La création du parti polonais “Indépendance”

En mars 2024, la figure du nationalisme en Pologne, Robert Bakiewicz créait un nouveau parti nommé Indépendance, et proposait par son biais de quitter l’Union européenne. La création de cette formation souverainiste catholique a beaucoup fait réagir, tant au niveau national polonais, qu’au niveau international. 

Des milliers de polonais sont ainsi descendus dans les rues courant octobre pour manifester leur volonté de rester dans le projet européen. Au même moment, les institutions européennes ont tremblé et imposé des sanctions vis-à-vis des défaillances envers le droit européen par la Pologne. 


Comment la création d’un tel parti a pu arriver, et quelles répercussions cela pourrait-il avoir dans le cadre national et international, particulièrement au niveau européen ? 

Pour le comprendre, il est judicieux de revenir un petit peu en arrière. 


En 1991, l’URSS se disloque, entraînant l’indépendance de ses Etats satellites, notamment la Pologne. Cette dernière veut alors se protéger d’un possible retour de l'expansionnisme russe et fait de nombreux efforts pour se conformer aux valeurs de l’UE. Elle est intégrée en 2004. Dix ans plus tard, en 2015, les polonais élisent Andrzej Duda comme président de la république, portant ainsi le parti Droit et Justice au pouvoir pour une durée de 5 ans. Ce parti anti-Europe est réélu en 2020, entraînant une détérioration des relations diplomatiques entre l’UE et la Pologne. Mais depuis 2023, le président a nommé pour chef du gouvernement Donald Tusk, qui lui est pro-Europe. 


Alors comment expliquer une telle différence entre les acteurs de ce fait ? Avant toute chose, il est nécessaire d’être conscient qu’en Pologne, 20% des habitants se disent favorables à la sortie de l’UE. Derrière cette donnée se cachent des controverses sur les céréales ukrainiennes, exemptées de droits de douanes, et pour les agriculteurs polonais une concurrence déloyale. Le gouvernement ultra-conservateur du parti présidentiel a aussi effacé toute communication positive autour de l’Union européenne depuis 2015, et s’est servi de ses échecs pour se valoriser. 


Et pourtant, depuis la nomination de Donald Tusk en tant que premier ministre, le soutien envers l’UE repart à la hausse. 


Mais cela n’a pas empêché la mise en place d’actions et de lois non conformes aux valeurs européennes. Par exemple, début juillet dernier, le parlement polonais a voté à la quasi-majorité une loi exonérant les gardes frontières de l’utilisation de leurs armes pour repousser l’arrivée de migrants dans le pays, clamant la légitime défense et la protection de la liberté face à une “atteinte directe et illégale de la frontière de l’Etat”. Cette loi, bien qu’intervenant dans un contexte suivant le décès d’un soldat polonais tué au couteau alors qu’il tentait d’empécher l’entrée illégale de plusieurs migrants dans les frontières du pays, est source de grands débats à l’échelon européen. 


Cette décision n’est pas la première contestée par l’Europe. En effet, la Pologne se trouve dans un contexte juridique particulièrement tendu avec l’UE. Cette dernière ayant mis en place un certain nombre de sanctions à son encontre. Parmi celles-ci, nous retrouvons : 


  • La suspension partielle de fonds européens, notamment à cause de la création d’une Chambre disciplinaire au sein de la Cour Suprême, permettant ainsi de sanctionner des juges critiquant le gouvernement, ce qui est perçu comme une violation de l’Etat de droit, pourtant fondement primordial de l’Union européenne. La sanction a même imposé une amende de 1 million d’euros par jour entre 2021 et 2022 pour le maintien de cette Chambre disciplinaire. 


  • Une autre pression exercée par l’Europe sur la Pologne concerne les droits fondamentaux, notamment la législation anti LGBT et les restrictions sur l’avortement dans le pays. 



Ces actions menées par les acteurs européens visent à pousser la Pologne à se conformer aux normes européennes. 


C’est dans ce contexte de fortes tensions avec l’échelon européen que les citoyens polonais ont pu élire un président ultra-conservateur, entraînant un environnement favorable à la création du parti Indépendance. Ce parti eurosceptique dur, porté par Robert Bakiewicz, prônant la souveraineté du pays par sa sortie de l’UE, et donc l’arrêt des politiques climatiques et migratoires imposées par celle-ci, établirait le service militaire obligatoire et l’éducation patriotique. En effet, l’Union européenne serait devenue “dépassée” et même un “fardeau” pour la Pologne. L’enjeu pour ce parti et ses potentiels électeurs serait alors de se défaire de cette oppression pour pouvoir prendre des décisions pour leur État comme ils l’entendent. 


A l’inverse, pour l’Union européenne, l’enjeu tourne autour du maintien de la Pologne dans le projet européen pour faire bloc face à la Russie, et donc sanctionner le pays déviant pour éviter un éloignement plus important des objectifs communs et des normes et valeurs européennes. 



A partir de ce constat, nous pouvons imaginer trois scénarios pour un futur proche : 


  • Tout d’abord le désintérêt vis-à-vis du parti Indépendance, nous avons pu voir qu’il existait un certain clivage politique en Pologne entre les citoyens dits “nationaux” et les “cosmopolites”. La Pologne pourrait basculer dans un euroscepticisme, mais modéré, suggérant des réformes plutôt que de quitter radicalement l’Union. Cela marquerait une certaine victoire de Donald Tusk quant à son penchant pro-Europe.


  • Un second scénario serait que le parti se présente aux élections, et les remporte. Cela fragiliserait l’UE qui compterait ainsi un second départ de ses rangs. Ce qui pourrait avoir un effet domino en incitant d’autres Etats à sortir de l’Union et poserait de fortes questions autour de l’avenir de l’Union européenne. La Russie pourrait également profiter de cette sortie pour asseoir de nouveau son influence sur la Pologne qui serait alors en conflit direct avec les valeurs de l’Europe. 


  • Un dernier scénario, et le plus probable, est la présentation du parti aux élections présidentielles, et sa défaite. Cet échec pourrait créer une sorte d’électrochoc pour l’UE, la forçant à une plus ample prise en compte des appétences patriotiques d’un certain nombre d’Etats membres. En effet, de plus en plus d’Etats voient des partis eurosceptiques se présenter et gagner des voix aux élections quelles qu’elles soient. C’est aussi le cas de l’Italie, la Hongrie ou encore la France. 


Nous aurons l’occasion d’observer la possible réalisation de ces scénarios très vite, puisque les prochaines élections présidentielles en Pologne se tiendront en 2025 et les prochaines législatives en 2027.


Sixtine Richard


Image : Nicole Wójcik (licence creative commons attribution-share alike 4.0 international).

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