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G20, BRICS, ces théâtres des rivalités permanentes

Dernière mise à jour : 1 nov. 2023


Les sans-abris de New Delhi, la capitale de l’Inde, ont été expulsés de la ville et les bidonvilles ainsi que les quartiers pauvres ont été détruits au nom de l’embellissement. 300 000 personnes déplacées pour faire place nette à l’occasion du Sommet du G20, les 9 et 10 septembre, la réunion des vingt pays les plus industrialisés incluant notamment les membres du G7 et les grands émergents la Chine l'Inde, la Russie, le Brésil, l'Indonésie, l'Afrique du sud (*1). Le sommet se tenait à New Delhi sous l’égide du Premier Ministre Indien Narendra Modi, qui assurait la présidence tournante. Il s’agissait d’un enjeu de puissance pour Modi qui veut rendre incontournable son pays dans le monde et lui-même dans son pays pour les élections parlementaires de 2024. L’ambition étant de « prendre en charge [plus de] responsabilités à l’échelle planétaire, pour influencer le cours des négociations internationales les plus importantes » comme le dit Isabelle Saint-Mezard, chercheuse à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) dans un article du magazine Ramsès 2024 (1).

Ce sommet doit être un moment de pause et de réflexion sur les relations internationales mais il se révèle la caisse de résonnance de l’actualité. C’est d’autant plus vrai au sujet de la Guerre en Ukraine. Alors qu’au G20 de Bali, en Indonésie, en 2022, une majorité d’états s’étaient mis d’accord pour condamner l’agression russe sur son voisin, à New Delhi, cette année, la déclaration finale (2) s’illustre par une polysémie tonitruante. Celle-ci dénonce « le recours à la force à des fins de conquête territoriale » sans évoquer explicitement le cas ukrainien, et l’agresseur russe. Le Ministre russe des Affaires Etrangères Sergueï Lavrov, qui remplace Poutine partout à l’étranger, s’est réjoui que le « Sud global [ait] empêché l’Occident d’ukrainiser le programme du G20 ». Même si effectivement les pays dits du Sud ont réussi à imposer à ce sommet leurs intérêts et leurs agendas, les pays du camp occidental ne partent pas pour autant sur un constat d’échec. Le communiqué final révèle en fait un compromis avantageant tout le monde, de sorte que chacun puisse revendiquer une victoire ou du moins que les adversaires respectifs soient ciblés. Pour l’Inde, la Chine est prévenue sur le sens qu’aurait une invasion de l’Ile de Taïwan. Pour la Russie, l’OTAN est défendue de s’agiter au bord de ses frontières. Pour l’Allemagne, le texte « soutient l’intégrité territoriale et souveraine de l’Ukraine » (3). Pour la France, ce langage normand des pays du sud « sert l’objectif de rétablissement de l’Ukraine dans ses droits ». L’Ukraine, dont son Président Volodimir Zelensky n’était pas convié au G20 indien contrairement à Bali en 2022, n’est pas aussi satisfaite que ses alliés occidentaux. Le porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères Ukrainien Oleg Nikolenko a ainsi écrit sur X (ex-Twitter) le 9 Septembre que le « G20 n’avait pas de quoi être fier » assorti d’un montage dans lequel il rayait les termes du communiqué n’allant pas dans le sens du soutien à l’Ukraine. Il n’y avait pas de quoi être fier non plus au sujet du climat. Les 20 états les plus industrialisés ne se sont pas entendus pour avancer radicalement dans le sens d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Rien n’a été dit concernant les énergies fossiles, ce qui relativise la volonté affichée par ces états de tripler les énergies renouvelables. Les états du Sud attendent immobiles des Occidentaux les 100 milliards de dollars promis à la COP 21 de 2015 à Paris pour financer leur transition écologique. Et les Occidentaux rechignent à la leur verser. C’est « un résultat insuffisant » que constate le Président français Emmanuel Macron.

Le Sud global prend de la masse au sein des relations internationales face à l’affaissement des puissances occidentales. L’Union Africaine – organisation intergouvernementale regroupant 54 états africains – a ainsi rejoint le G20 comme membre à part entière au côté de l’Union Européenne. Le Président de l’Union Africaine n’est autre que le Président de l’Union des Comores Azali Assoumani, encore et toujours en conflit avec la France au sujet de la souveraineté de Mayotte qu’il revendique, département français mais anciennement île des Comores du temps des colonies. Le G20 a donc permis de souligner « la perte d’autorité [des puissances occidentales qu’elles] contribuent à miner » comme l’écrit le journaliste Pierre Hazan dans l’édition de Septembre du Monde Diplomatique (4). Ces pays sortent affaiblis et rejetés des séquences géopolitiques récentes. Les Etats-Unis qui se désinvestissent du Moyen-Orient en laissant l’Irak, la Syrie et l’Afghanistan aux mains du fanatisme, de l’incertitude et du chaos. Les dirigeants européens qui serrent la main à la plupart des tyrans et autocrates par-exemple le Président Egyptien Abdel Fattah al-Sissi, le Président Tunisien Kaïs Saïed, le Prince Héritier d’Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane, l’Emir du Qatar Al Thani, leur vendent des armes en se gargarisant de principes humanistes contre la Russie. La France qui est détestée politiquement dans le Sahel après trois coups d’Etat au Mali en 2020 et 2021, au Burkina Faso en 2022, et au Niger en 2023. Des pays clés pour son influence en Afrique. L’Union Européenne et l’OTAN qui n’arrivent pas - qui n’essayent pas, peut-être – à obtenir le soutien des états asiatiques, africains et sud-américains contre la Russie. Le site d’information pro-Kremlin Vzgliad relevait que le « Sud global tient tête à l’Occident et à l’Ukraine ». La Russie peut se réjouir de ce rapport de force perdu par les occidentaux, cela n’empêche pas son affaiblissement. Moscou ne compte que sur l'appui explicite d'une poignée de régimes autocratiques parmi lesquels l'Iran, l'Érythrée, le Venezuela et bien sûr la Corée du Nord. Des puissances économiques négligeables frappées par des sanctions occidentales et reléguées en paria pour toutes les violations manifestes des droits de l’homme et des libertés publiques. Se forme de plus en plus avec et autour de la Russie un « cercle des affreux ». La Russie n’est pas pour autant complètement isolée, elle tient à son partenariat commercial et diplomatique avec l‘Inde, qu’elle fournit en pétrole, en gaz et en armement.

Mais ce Sud global n’est pas uni, n’est pas pérenne et encore moins politiquement homogène. Il s’agit, selon les mots de Pierre Hazan, dans un article déjà cité, « d’alliances à géométrie variable ». Si la Russie a encore des alliés, c’est parce que ces derniers profitent de son pétrole à bas prix, diversifient leurs fournitures d’armes et renforcent leur position géopolitique. Et le cas des BRICS (*2) en témoigne parfaitement, l’absence remarquée du Président Chinois Xi Jinping – remplacé par son Premier Ministre Li Qiang – au sommet du G20 à New Delhi en fait référence car l’Inde et la Chine se mènent, au sein même des BRICS, un duel des plus tendus. Il s’agit d’abord d’un litige historique engagé lors de la Guerre Sino-Indienne de 1962. Ces deux pays s’opposent sur le tracé de leur frontière commune dans l’Himalaya, chacun se disputant la région de l’Aksai Chin, tout au Nord de l’Inde, entre le Pakistan et le Tibet. Une rivalité qui dans les années 2000 a pris de nouveau les airs d’un affrontement armé, au point qu’en 2020, des heurts entre gardes-frontières indiens et chinois, au niveau de la Rivière du Galwan à 4 000 mètres d’altitude, ont fait vingt morts. L’Inde, à chaque fois qu’elle le peut, s’oppose aux velléités de présence de Pékin en Mer de Chine. Tout récemment, le Premier Ministre Narendra Modi a soutenu la position des Philippines sur ce conflit maritime, position validée par la Cour Internationale de la Haye. L’Inde a même rejoint le QUAD – Dialogue Quadrilatéral pour la Sécurité – groupe informel composé des Etats-Unis, de l’Australie et du Japon, ayant pour objectif de mener une guerre d’influence contre la Chine dans le Pacifique et en Asie. L’Inde tente de contrebalancer la puissance chinoise par sa force démographique – 1.42 milliards d’habitants – et sa croissance bondissante – plus 7.2 % en 2022, lorsque la Chine ne revendique aujourd’hui qu’un PIB ralenti à 3 %. Malgré ses efforts dans la biotechnologie et ses succès dans le secteur spatial, l’Inde reste un pays miné par des difficultés sociales très importantes. Elle accuse le plus faible niveau de revenu des pays du BRICS – soit 2 085 dollars par personne. Elle est le pays où 800 millions d’individus se nourrissent avec de modestes rations alimentaires, figurant 107ème sur 123ème dans l’Indice de la Faim. Et selon Oxfam, la répartition des richesses est des plus inégalitaires, puisque 10 % les plus aisés en s’approprient 77 %. Cela n’a rien à voir avec le PIB trois fois supérieur de la Chine, partenaire commercial et industriel de presque tous les continents de l’Occident comme du Sud global dont l'Inde qui en est même dangereusement dépendante. Sur la période 2019-2020 elle a importé pour 65,3 milliards de dollars depuis la Chine alors qu'elle n'a exporter que pour 16,6 milliards de dollars vers la Chine. L'Inde reste selon l'expression d'Olivier da Lage "un géant fragile".

Leurs intérêts économiques concurrents se mêlent aux décisions des BRICS. Deux semaines avant le G20, s’est tenu le sommet de ces cinq pays émergents, à Johannesburg en Afrique du Sud – du 22 au 24 Août 2023. Il y a été surtout question de son élargissement à d’autres états. L’Inde s’y est opposé, car il est marqué du sceau de la Chine. Le Brésil a craint que par un nombre supplémentaire de membres, son influence en soit diluée, influence réelle comme en témoigne la nomination en Mars 2023 à la tête de la Banque des BRICS, la Nouvelle Banque du Développement, de l’ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff, successeuse de Lula en 2011. Xi Jinping avait en tête l’ambition de son projet des Nouvelles Routes de la Soie quand il a proposé, d’une certaine façon exigé, et obtenu la candidature de l’Egypte, par-exemple, qui a la main sur le très stratégique Canal de Suez ou l’Ethiopie qui constitue une porte d’entrée de l’Afrique pour la Chine. Mais selon Samir Saran, Président du centre de réflexion indien Observer Research Foundation, ces partenariats relèvent d’ « arrangements entre [états] en compétition les uns avec les autres ». L’Iran et l’Arabie Saoudite, rivaux historiques au Moyen-Orient, malgré un rapprochement sous l’égide de la Chine en 2023, sont devenus paradoxalement partenaires en tant que nouveaux membres des BRICS. L’Iran qui livre des drones à l’Armée de Russie, autre pays membre, reste profondément un allié idéologique de Vladimir Poutine. A l’inverse, l’Arabie Saoudite a l’amitié des Occidentaux, notamment pour son pétrole, accueille des bases militaires américaines sur son sol et reçoit le Président Ukrainien Zelensky à Ryad au sommet de la Ligue Arabe en Mai dernier. Autre position ambigüe, l’Inde, qui se tient entre l’Ouest et le Sud. C’est pour Jean-Joseph Boillot, conseiller à l’IRIS, une « posture médiane », un « multi-alignement pragmatique », un « ET-ET » consistant à coopérer « avec tout le monde en maintenant tout le monde à distance » (5). Une sorte de stratégie du double-jeu qui permet au Premier Ministre Modi d’être invité partout et de recevoir tout le monde, il avait rencontré le Président Poutine en Septembre 2022 en Ouzbékistan en marge d’un sommet eurasiatique, puis le Président Zelensky à Hiroshima au Japon en marge du G7 en Mai 2023. En juin, il était aux Etats-Unis pour une Visite d’Etat au cours de laquelle il a été reçu par Joe Biden à la Maison Blanche, et le 14 Juillet il était l’invité d’honneur d’Emmanuel Macron pour le traditionnel défilé militaire sur les Champs Elysées. Ce qui n’a pas empêché le Ministre des Affaires Etrangères Indien Subrahmanyan Jaishankar de répéter au G20 à New Delhi que « l’Europe doit sortir de l’état d’esprit selon lequel les problèmes de l’Europe sont les problèmes du monde, mais les problèmes du monde ne sont pas les problèmes de l’Europe ».

La leçon de cette séquence géopolitique est que même si l’Occident est en déclin, le Sud global est divisé, est hétérogène, ce qui ne veut pas dire qu’il est impuissant. Avec son élargissement, les BRICS + représentent désormais 46 % de la population mondiale et 54 % de la production pétrolière du monde. Le journaliste Sébastien Abis, dans un article de l’Opinion du 4 Septembre 2023, soulignait que les BRICS + réunissent « le blé, le soja et la viande bovine de l’Argentine », « les céréales de la Russie », « le safran et les pistaches de l’Iran », « le café et le sésame de l’Ethiopie » et « les oranges et les oignons de l’Egypte » (6), soit 23 % des ventes agricoles mondiales. Les pays du G7 (*3) eux ne cumulent que 9,7 % de la population du globe et un tiers des richesses mondiales. C’est donc un conglomérat des puissances moyennes qui tient et qui tiendra tête à l’Occident dans toutes les ambivalences montrées plus haut. Leur objectif, partager la gouvernance mondiale et défendre le multilatéralisme. Ils savent que pour le mener à bien, ils devront bouleverser les institutions internationales et leurs différents dispositifs comme le Conseil de Sécurité de l’ONU, figé depuis 1945, ou les organisations économiques et commerciales, l’OMC, la Banque Mondiale, le FMI. Ils pourront au moins compter sur le soutien du Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres, qui souhaite de ses vœux cette réorganisation diplomatique.


Par Gabriel Taillandier et Noé Pastout-Clouzeau


SOURCES


(1) L’Inde sur la scène mondiale, par Isabelle Saint-Mézard, Ramsès, 2024 sous la direction de Thierry de Montbrial & Dominique David, publié chez Dunod en partenariat avec l’IFRI

(2) Déclaration des chefs d’État et de gouvernement du G20 à New Delhi https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/09/10/declaration-des-chefs-detat-et-de-gouvernement-du-g20-a-new-delhi


(3) Déclaration finale du G20 : Scholz salue l’accent mis sur « l’intégrité territoriale » de tous les pays https://www.deutschland.de/fr/news/g20-scholz-salue-laccent-mis-sur-lintegrite-territoriale

(4) Alliances à géométrie variable, de l’opportunisme en diplomatie, par Pierre Hazan, Le Monde Diplomatique, Septembre 2023

(5) Chine et Inde : un tango qui menace d’éclatement les BRICS, par Jean-Joseph Boillot, Diplomatie, Septembre-Octobre 2023

(6) Brics : l’apétit agricole vient en marchant, par Sébastien Abis, l’Opinion, le 4 Septembre 2023

Du sommet des Brics à celui du G20, Quand le Sud s’affirme, par Martine Bulard, Le Monde Diplomatique, Octobre 2023

*1 Argentine – Australie – Brésil – Canada – Chine – France – Allemagne – Inde – Indonésie – Italie – Japon – Mexique - Corée du Sud – Russie – Arabie Saoudite – Afrique du Sud – Turquie – Royaume-Uni - Etats-Unis

*2 Brésil – Russie – Inde – Chine – Afrique du Sud et à partir du 1er Janvier 2024 Argentine – Iran – Arabie Saoudite – Ethiopie – Emirats Arabes Unis – Egypte

*3 France – Etats-Unis – Canada – Italie – Royaume-Uni – Allemagne – Japon

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