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FNSEA : l’éléphant-lobby dans le paysage agricole français

Syndicat intouchable ou lobby incontournable, que se cache t-il derrière la FNSEA qui façonne l’agriculture française au détriment de l’environnement et d’une production durable ? 


Pendant des décennies, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles a su imposer son agenda, infiltrer les cercles décisionnels, orienter les politiques publiques et subventions européennes en dictant la stratégie de l’agriculture française. Derrière la façade syndicale de défense des agriculteurs se cache une organisation tentaculaire qui protège avant tout les intérêts d’acteurs industriels et des grandes exploitations.

Mais comment la FNSEA est-elle devenue cet acteur dominant dans l’agriculture française et quelles sont les conséquences de son omniprésence dans le champ politique ? 



Syndicat d’une agriculture intensive


Le syndicat ne cache pas l’idée de l’agriculture qu’il défend. Une production intensive pour tendre à la surproduction et un favoritisme marqué pour les grandes exploitations. Cela implique la défense de l’utilisation de pesticides dont la FNSEA a fait un véritable cheval de bataille. Nouvelle victoire début 2024, le gouvernement de Gabriel Attal suspend le plan Ecophyto, cède face à la contestation agricole et permet à l’agriculture une nouvelle fois de l'emporter sur l’écologie. L’ambition écologique, pourtant mise en avant par le président durant sa campagne de 2022, semble aujourd’hui abandonnée et le nouveau plan Ecophyto 2030 est aujourd’hui pointé du doigts par des associations de défense de l’environnement comme ne pouvant respecter les objectifs de réduction d’utilisation de pesticides. 

(Le plan Ecophyto, lancé initialement en 2009, vise à réduire l’usage des pesticides pour protéger l’environnement et la santé publique.)


La défense d’une agriculture intensive par le premier syndicat agricole conduit à la marginalisation des petites exploitations. Cela entraîne une concentration des aides publiques au profit des plus grandes exploitations. Selon le Plan Stratégique National de la PAC 2023-2027, 20% des agriculteurs possèdent 52% des terres agricoles exploitées et touchent 35% des subventions européennes de la PAC. 

(Les grandes exploitations, bien que dominantes en termes de terres exploitées, bénéficient d’une part des subventions proportionnellement inférieure à leur taille. Toutefois, cette répartition reste désavantageuse pour les plus petites structures.)


Cette inégalité s’explique par le fait que le premier pilier de la PAC concerne des aides directes aux agriculteurs sur la seule taille des terres de l’exploitation ou sur la seule production pour les filières d'élevage. Cette politique, défendue par la FNSEA, tend l’agriculture française à s’orienter sur le modèle intensif au détriment des plus petites exploitations. En 2021, elle s’oppose à une proposition visant à instaurer un plafonnement des subventions pour redistribuer davantage vers les petites exploitations. Ce plafonnement aurait permis de réduire les inégalités croissantes dans le secteur agricole.



Derrière le syndicat, le lobbying tentaculaire 


La FNSEA réussit à imposer son modèle de production grâce à une forte influence sur les instances nationales et européennes. A Bruxelles, elle est l’un des principaux acteurs des négociations autour de la PAC mais c’est en France que son emprise est la plus marquée. 

Cette omniprésence est tout d’abord première sur la représentation au sein des chambres d’agriculture, organismes représentant localement les intérêts des exploitants agricoles. En 2019, l’alliance FNSEA-JA (Jeunes Agriculteurs) obtient 55,55% des voix et permet la direction de 97 chambres sur les 102. Une ultra représentation aidée par le mode de scrutin : la liste en tête obtient 9 sièges sur 18, l'autre moitié étant répartie à la proportionnelle entre toutes.


Les enjeux de cette domination sont doubles, premièrement l’influence de la politique de la FNSEA sur les missions confiées aux chambres d’agriculture comme l’accompagnement des agriculteurs au local et leur mission de représentation auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales. Le second enjeu est financier puisque les fonds alloués au financement des syndicats sont répartis en fonction du nombre de voix (75%) et selon le nombre de sièges (25%).


Créée en 1946, la FNSEA est rapidement devenue, aux côtés de l’Etat, cogestionnaire de l’agriculture française, participant très largement à la création des premières lois de modernisation de l’agriculture. Aujourd’hui encore, certains de ses cadres entretiennent des liens extrêmement étroits avec les plus hautes sphères du pouvoir, au parlement et au sein des ministères.

Dominique Bussereau, ancien ministre de l’Agriculture (2004-2007), a par exemple entretenu des relations privilégiées avec la FNSEA durant son mandat. Sous son influence, de nombreuses politiques ont favorisé les grandes exploitations, avec l’assouplissement des quotas laitiers ou une revalorisation des subventions pour l’élevage intensif. Tout comme durant la présidence d’Emmanuel Macron, plusieurs décisions stratégiques favorables à l'agriculture intensive ont été attribuées à l'influence de la FNSEA:

La prolongation de l’usage du glyphosate, malgré des engagements initiaux de réduction mais aussi une révision à la baisse des objectifs environnementaux dans le cadre de la PAC 2023-2027.


Les liens étroits de la FNSEA avec les sphères du pouvoir placent le syndicat dans une position paradoxale. Cet entretien de liens institutionnels ne semble pas convenir avec les soutiens et encouragements aux mobilisations de terrain que la FNSEA entretient également, tout cela au risque de se voir déborder à la base. 




FNSEA : faut-il tourner la page ?


Face à l’omniprésence de la FNSEA, la principale question qui se pose est celle de l’équilibre des forces dans le paysage agricole français. Ce modèle syndicaliste est-il toujours adapté à notre époque ? 

L’hégémonie de la FNSEA, nourrie par des décennies de cogestion avec l’État et un accès privilégié aux cercles du pouvoir soulève un paradoxe: peut-on réellement concilier les intérêts des agriculteurs avec les nouveaux enjeux climatiques, économiques et sociaux ? 

Il ne s’agit pas de simplement penser la fin de la domination de la FNSEA mais surtout penser la fin d’un modèle qui confond souvent défense des agriculteurs et promotion des intérêts industriels. Mais mettre fin à cette domination ne signifie pas abandonner l’idée de syndicalisme agricole, mais plutôt la réinventer. Imaginer des structures plus ouvertes, transparentes et réellement représentatives de tous les agriculteurs. 


Les prochaines élections des chambres de l’agriculture prévues le 31 janvier 2025 seront véritablement porteuses d’enjeux pour le secteur agricole français. Outre son financement public, l’obtention de sièges dans des commissions décisionnelles au niveau local confère un réseau d’influence agricole et un rôle de premier plan sur le développement agricole local. De plus, à l’échelle nationale, c’est vers le syndicat majoritaire que le ministère de l'agriculture sera tenté de se tourner en premier. Ce qui joue un rôle déterminant dans la conduite des politiques publiques agricoles.



Jules TRIQUET






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