Entre fractures mondiales et repositionnements : les défis d’un nouvel ordre international
- Éditions Respublica
- 4 févr.
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« Nous sommes dans l’ère d’un nouveau conflit systémique entre les démocraties libérales et les autocraties antilibérales, dans laquelle notre modèle libéral et démocratique doit à nouveau faire ses preuves dans une compétition mondiale. »
Lors d’un discours au Bundestag, un mois avant l’élection du chancelier allemand, Friedrich Merz, candidat en tête de la CDU, observe un monde en profonde crise, où l’exacerbation d’un fossé symbolique entre un Occident démocratique et un « Est » illibéral engage une nouvelle « compétition mondiale ». Dans une intervention ponctuée de références réganistes, le chef de file de l’exécutif allemand réintroduit dans le débat diplomatique la vision d’un « axe des autocraties », composé de la Chine, de l’Iran, de la Russie, de la Corée du Nord et, plus récemment, de la Syrie, accusée de former des terroristes du Hamas. Le retour à la notion d’« Axis of Evil » de Bush n’est pas une innovation. Le récemment élu président républicain Donald Trump, premier candidat de son parti à remporter le scrutin populaire depuis George Bush en 2004, avait lui aussi désigné des adversaires similaires lors de son premier mandat. Cela incluait la Corée du Nord, l’État islamique et l’Iran, dans une lutte endémique aux États-Unis : la « Manifest Destiny ».
Cependant, réduire la scène internationale et la lecture trumpiste à une bipolarisation entre « le Bien » et « le Mal » revient à nier les nouvelles formes d’influences mondiales, diffuses, asymétriques, et dont la complexité dépasse les cadres traditionnels de la diplomatie européenne.
Pour contourner l’incapacité des grandes puissances à instaurer un « nouvel ordre mondial » garantissant paix et stabilité, Donald Trump opte pour un retour en arrière. Plutôt que d’envisager le progrès, il balaye le droit international public, ainsi que le semblant d’ordre qu’il avait contribué à instaurer au XXe siècle, pour restaurer une conception ancienne du « concert des nations ».
L’ancien magnat de l’immobilier ajuste la politique étrangère de la première puissance mondiale en la calquant sur le modèle impérialiste des grandes puissances du XIXe siècle, se dédouanant des obligations internationales imposées par le droit et par l’ONU. Ses récentes déclarations à propos du Groenland, qu’il tentait déjà de racheter en 2019 (une idée remontant à 1867), ainsi que son bellicisme envers le Panama et le Canada, qu’il projette de transformer en 51e État des États-Unis, démontrent un recul dans la manière dont le pays de la démocratie exerce sa politique étrangère. L’utilisation massive du hard power américain, même vis-à-vis de ses alliés historiques, semble désormais plus à prévoir qu’à redouter. Lors du sommet de Davos, le président américain déclara : « Nous avons quelques très grandes raisons de nous plaindre de l’Union européenne. » Parmi ces raisons : le système de TVA, qui pénalise selon lui les entreprises américaines, ou encore les poursuites judiciaires européennes contre des géants comme Apple, Méta ou Google, perçues comme une « forme de taxation ». Fidèle à son mercantilisme, le milliardaire républicain estime que le déficit commercial peut être compensé par une guerre économique traduite par des taxes d’importation élevées, bien que ce soit in fine les consommateurs américains qui en paieront le prix.
Dans un Occident de plus en plus ferme et isolationniste, la France a longtemps cru, depuis le consensuel général De Gaulle, pouvoir compter sur elle-même pour préserver son rang sur la scène internationale. Pourtant, un sondage réalisé par France Soir en collaboration avec BonSens.org auprès de 1 200 Français révèle une autre réalité : 65 % des sondés estiment que l’influence de la France diminue, tandis que 50 % jugent plausible ou inévitable une guerre nucléaire avec la Russie, et 53 % craignent un conflit généralisé avec le Moyen-Orient. De surcroît, 80 % des Français s’opposent à l’envoi de troupes en Ukraine. Ces chiffres témoignent d’un essoufflement de la vision néolibérale d’une paix garantie par le marché, et de la nécessité pour la France de redéfinir sa perception des enjeux contemporains, au-delà du prisme de la mondialisation.
Cette réinvention s’impose d’autant plus que la France perd ce qu’elle a longtemps considéré comme sa chasse gardée : l’Afrique. D’ici fin janvier 2025, seules deux bases militaires permanentes subsisteront sur le continent, à Djibouti et au Gabon. Ces derniers mois, des nations comme le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal ou encore le Tchad ont rejeté, d’une voix unanime, ce qu’ils considèrent être un néo-colonialisme français. En réponse, le président Emmanuel Macron, frustré par ces humiliations, réagit avec un mépris perceptible : « Ils ont sûrement oublié de nous dire merci. » Toutefois, les répercussions de ces départs pour la France sont considérables : incapable de projeter ses forces légères en Afrique, elle devra désormais adapter son armée à des conflits européens plus classiques. La priorité se déplace désormais vers l’Indo-Pacifique, l’Europe de l’Est face à « l’impérialisme russe » et la Méditerranée orientale.
Face à ces défis, une France contrainte de s’éloigner quelque peu de son guide américain doit rompre avec les principes hérités de sa diplomatie historique. Il s’agit de dépasser les logiques néo-coloniales pour reconstruire des relations d’égal à égal avec ses partenaires africains, dans une dynamique souveraine et équitable. Parallèlement, dans un contexte où les États-Unis s’éloignent du multilatéralisme, la France doit intensifier sa participation aux organisations internationales, qui restent un levier clef pour conserver son rang de grande puissance. Ce n’est pas tant un retour à l’ère gaullienne qu’une réinvention stratégique qui s’impose, pour se repositionner dans un monde en mutation rapide et complexe.
Matéo Grignon
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