Art et corps féminin : une représentation devenue politique (Guénola Le Borgne)
- Éditions Respublica
- 5 mai 2021
- 3 min de lecture
Le combat pour l’égalité passe aussi par l’art. La représentation du corps féminin a subi une évolution, d’abord miroir de l’asservissement de la femme, elle est désormais un vecteur de revendications.
Historiquement, les représentations du corps féminin renvoient à la notion de fécondité. Dans la Grèce antique, celui-ci est représenté pour mettre en valeur les critères de beauté que la société de l’époque reconnaît. A partir du Moyen-Age, la prégnance de la religion transparaît à travers les représentations du corps de la femme qui symbolisent alors pureté, virginité puis célèbrent la maternité. Un paradoxe émerge, le corps féminin étant loué pour sa maternité mais méprisé pour sa prétendue faiblesse.
La majorité des œuvres montrent la femme comme la parfaite maîtresse de maison, la mère, la bonne épouse. La femme n’est représentée que sous le prisme de son assujettissement.

Au XIXème siècle, la femme reste un sujet d’art prépondérant, souvent représentée nue. Le corps féminin, projection des désirs de la société hétérocentrée et patriarcale se voit réapproprié dans les œuvres de la peintre Suzanne Valadon. Ses nus tendent à en finir avec l’hypersexualisation du corps de la femme qui dominait les représentations de l’époque. Dans le Nu incliné (1928), le corps n’est pas offert au regard du spectateur, ce qui tranche avec la tendance voyeuriste des tableaux de l’époque.
Il faut attendre la fin du XXème siècle pour que la représentation du corps féminin prenne un autre tournant. En effet, jusque-là, la majorité des artistes étaient des hommes. Le corps féminin était donc représenté par l’homme, à travers le regard de l’homme et le plus souvent destiné à un observateur masculin. Être une femme artiste et s’imposer en tant que telle à l’époque était plus que compliqué dans un milieu majoritairement masculin. Même lorsqu’une femme disposait d’un endroit à elle pour créer, « Une chambre à soi » comme le disait Virginia Woolf, encore fallait-il oser rompre avec les codes artistiques de siècles de domination masculine.

En 1989, le collectif des Guerilla Girls critique la sous-représentation des femmes et leur difficile reconnaissance dans le milieu artistique. Dans leur affiche la plus célèbre, elles détournent La Grande Odalisque, tableau célèbre d’Ingres pour interpeller le public.
Force est de constater qu’encore aujourd’hui, les femmes artistes ont plus de mal à avoir de la visibilité. Certaines d’entre elles ont pourtant contribué à bouleverser les représentations traditionnelles du corps féminin. Par leur inventivité, elles permettent une libération et une réappropriation des corps.

On ne peut parler d’art féminin sans évoquer Frida Kahlo, dont la peinture retrace les différentes épreuves qu’une femme peut connaître dans sa vie, notamment les plus douloureuses comme l’avortement. Au Mexique, à l’époque post-révolutionnaire marquée par l’asservissement des femmes dans la société, son art provoque et incite à repenser la place du féminin.
En France Nicki de Saint Phalle est connue pour ses Nanas, des sculptures représentant des femmes joyeuses, opulentes et décomplexées. Mais l’artiste se distingue également par des œuvres de performance qui ont contribué au combat féministe. Ainsi dans une série de tableaux de 1961, ses tirs de carabine éclaboussant une toile de peinture symbolisent à la fois recherche de liberté et volonté d’émancipation de la domination masculine.
Les années 1960 voient l’émergence de l’art performance, qui, en plus de bouleverser le marché de l’art, constitue un vecteur des revendications féministes. Le corps féminin devient alors, non plus le sujet de l’œuvre mais l’outil de la création artistique.
La performance permet de reprendre possession de son corps afin de s’extraire du regard masculin. Les artistes proposent une confrontation avec le public, à chacun d’interpréter la performance comme il le souhaite.
Pionnière en la matière, Yoko Ono éveille les consciences quant aux violences sexistes dans sa performance Cut Piece. Assise immobile dans une position de politesse traditionnelle japonaise, l’artiste invite chaque participant à découper un morceau de ses vêtements.

Dans Le Baiser, autre exemple de performance, l’artiste ORLAN alpague les passants en leur vendant des baisers pour 5 francs. Elle interroge ainsi sur la marchandisation du corps de la femme et fait de son propre corps, un outil politique.
La dernière évolution quant à la représentation du corps féminin aspire à plus d’inclusivité. Le mouvement queer, par la déconstruction de la binarité du genre, donne une place à la diversité des désirs, quelle que soit l’identité de sexe, de genre ou l’orientation sexuelle. L’art queer permet de représenter tous les corps, toutes les minorités et rompt avec les œuvres féministes traditionnelles plutôt hétérocentrées.
Les avancées ont donc été nombreuses et importantes quant à la représentation des corps féminins. Au départ critiques de la domination masculine et de l’asservissement de la femme, les œuvres féministes ont permis une réappropriation des corps. Il est maintenant temps de déconstruire les rôles genrés afin de tendre vers plus d’inclusivité.
Guénola Le Borgne
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