Terrorisme d'État : principes et applications
- Éditions Respublica
- 23 nov. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 oct. 2022
Archétype de la terreur d’État, la campagne Anfal, dirigée par l’Irak contre sa population kurde en 1988, mena entre 50 000 et 100 000 personnes à la mort, et força environ 2,5 millions de personnes à l’exil. La campagne Anfal permet de saisir, en partie, les principes directeurs du terrorisme d’État, par son degré d’organisation et de violence. En effet, il est nécessaire d’établir une typologie du terrorisme d’État, tant ce concept permet de renvoyer face à face des réalités d’apparence si éloignées.

Tout d’abord, il est nécessaire de définir le champ d’action de cette forme de terrorisme, en effet il peut agir en dehors des frontières d’un État, ou à l’intérieur de ses propres frontières. G. Martin, dans son ouvrage « The essentials of terrorism », crée une grille d’analyse de cette forme de terrorisme, en analysant le terrorisme d’État par le degré d’implication de l’État dans la mise en place de la terreur ou encore en mettant en exergue le caractère officiel ou non-officiel des exécutants. Il distingue également les différents degrés de violence utilisés par les États ou leurs relais. Ainsi, le terrorisme d’État renvoie à des réalités multiples : il peut être génocidaire, organisé par l’État et exclusivement exécuté par ses agents, ou à l’inverse il peut s’agir de la mise en place d’une guerre de basse intensité, en utilisant des groupes armés externes à l’État (proxy) et où ce dernier, sans diriger, soutient une action. De plus, l’action extérieure doit être distinguée de l’action domestique, le champ d’action du terrorisme d’État dépend de l’état de fait recherché. La destruction de l’ennemi intérieur ne peut être confondue avec une action de soutien à un groupe extérieur considéré comme terroriste. En effet, le soutien à un groupe armé extérieur sert des objectifs différents de l’action intérieure, ce dernier se distingue par un système implicite d’aide à ce groupe (assistance model), cela peut se faire par l’utilisation d’une rhétorique sympathique à l’égard de ce groupe sur la scène internationale, ou alors plus explicitement, en finançant et en armant ledit groupe. Le modèle de l’assistance se distingue alors du modèle du patronage (patronage model), qui renvoie à une réalité ou l’État gère directement une action terroriste, à l’intérieur ou à l’extérieur, en utilisant ses agents ou des agents externes.
La différence de méthode dans l’exécution de l’action terroriste est également un critère nécessaire à l’analyse de ce phénomène. Le triptyque classique du terrorisme d’État appliqué à la guerre de contre insurrection se trouve être « assassinat-torture-disparition » : ces méthodes sont présentes dans quasiment tous les cas de terrorisme d’État. L’État en question utilise alors la terreur dans le but d’imposer un ordre à un groupe rebelle, néanmoins, la légitimation de l’autorité de l’État ne peut passer uniquement par la terreur. À partir de 2003, les forces armées colombiennes ont mis en place une nouvelle forme de contre-insurrection, en abandonnant la distinction obsolète entre guerre conventionnelle et non-conventionnelle et en mettant en place une guerre intégrée et intégrale. L’action armée s’accompagne alors d’une action de renforcement de l’État de droit et de développements économiques et sociales des régions les plus touchées par les activités subversives. Cette nouvelle méthode de guerre a également été accompagnée de la dissolution de la brigade 20, alors accusée d’agir comme un escadron de la mort.
Ainsi, le terrorisme d’État dans l’action domestique vise bel et bien à imposer/façonner un ordre, et les exemples historiques sont nombreux, de l’Amérique latine au Cambodge, en passant par les territoires occupés de Palestine ou encore en Afrique du Sud.
Il est donc question ici d’analyser le cas Sud-africain qui, grâce au travail de la commission « vérité et réconciliation », peut être analysé par le biais de témoignages historiques, de faits, et de documents officiels du régime de l’apartheid.
La commission a effectué un travail d’enquête s’étalant sur environ quarante ans de violence politique en Afrique du sud. Elle recense les différentes violations des droits de l’Homme commis par le pouvoir dans la lutte contre les mouvements anti-apartheid, ainsi que par les différents mouvements de libération nationale. Il est alors possible de relier l’analyse de ce confit à plusieurs méthodes de terrorisme d’État mentionnées par G. Martin.
Les travaux de la commission permettent ainsi de constater l’utilisation massive de la terreur par le régime Sud-Africain : l’utilisation de la torture, les disparitions d’activistes et de combattants, mais aussi les meurtres de civils ou encore les attentats à la bombe y étaient systématiques. De plus, le cas Sud-Africain s’illustre par sa méthodologie plurielle, en effet il cumule plusieurs formes de terrorisme d’État. On sait qu’il y eu une porosité très forte entre les forces de sécurités et certains groupes paramilitaires ayant menés des actions violentes sur le territoire Sud-Africain, notamment l’AWB. Il existe également un modèle de patronage dans l’analyse du cas Sud-Africain, en effet l’existence de l’unité C10/Vlakplaas, démontrée par la commission, nous permet d’affirmer le caractère éminemment terroriste des actions de ce groupe, agissant comme un escadron de la mort au service de l’État, et utilisant ainsi le triptyque « assassinat-torture-disparition ». Il s’agit donc d’agents de l’État, agissant sur ordre, au nom d’une politique de contre-insurrection organisée par l’État, multipliant les attaques sur le territoire national et s’inscrivant alors dans le cadre domestique. Dans le cas Sud-Africain, les mouvements subversifs refusant l’ordre imposé par l’État rentrent en insurrection par le biais de formations armées utilisant elles-mêmes le terrorisme comme arme principale.
Ainsi, le terrorisme d’État peut être compris comme un répertoire d’actions multiples, s’appuyant sur l’idée que la terreur pousse les hommes à l’inaction et à l’acceptation de l’ordre établi. L'extrême violence de ces méthodes fait partie intégrante de la logique générale justifiant le recours à la force, à savoir une logique de domination d’un groupe par un autre, à la seule différence qu’ici l’un des groupes est censé détenir le monopole de la force légitime.
Normant Marvin
Bibliographie:
- G. Martin, « The essentials of terrorism », Chapitre 4
- Jérôme Cario, Antonin Tisseron, « De l’enfer au purgatoire. Les forces armées colombiennes en contre-insurrection ».
-Richard Jackson, Eamon Murphy, Scott Poynting, « Contemporary State Terrorism: Theory and practice ».
- « Truth and Reconciliation Commission of South Africa Report » Volume 2-6
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