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Les établissements d’accompagnement des personnes âgées face au défi d’un vieillissement heureux

Entre 1970 et 2022, la part des personnes âgées de plus de 65 ans dans la population française a presque doublé, passant de 13% à 23%. Ce vieillissement de la population est un sujet qui prend de plus en plus d’ampleur dans le débat public, en témoigne la réforme des retraites promulguée en 2023. Pourtant, pour les professionnels de l’accompagnement du grand âge, les séniors ne sont pas suffisamment considérés. 

Ainsi, une mobilisation nationale a été organisée par ces professionnels, à l’initiative de la FNADEPA (Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées), le 24 septembre 2024.



L’accompagnement multi scalaire du grand âge.


Les structures pour personnes âgées, quels que soient leurs niveaux de dépendance, doivent remplir plusieurs fonctions pour accompagner efficacement leurs bénéficiaires. La santé physique des patients/résidents est évidemment un axe important de ces institutions, mais celles-ci ne doivent pas s’en contenter. En effet, pour Jean-Bernard Mabire et Océane Agli (Enseignants chercheurs et maîtres de conférences en psychologie gérontologique à l’Université de Tours), le bien-être psychologique et social est indissociable du bien-être physique à tout âge, y compris lorsque nous vieillissons. Afin d’atteindre cet état, les besoins à combler sont de : « se sentir autonome et compétent, de ressentir du bien-être, d’être satisfait de sa vie actuelle et avec des relations sociales. »


S’agissant du sentiment d’autonomie et de compétence, J-B. Mabire et O. Agli insistent sur le rôle de la représentation de la réalité et sa projection sur les sujets âgés. En effet, la « menace du stéréotype » plane sur les personnes âgées. Elles peuvent intégrer la représentation négative qui peut être développée dans la société, notamment à travers la perception des retraités comme un poids pour la société. Ce cercle vicieux étudié au XXe siècle par H. Becker à travers le concept d’ « étiquetage » peut alors s’entretenir par l’intégration des représentations. Cela peut induire à un calque des individus sur les comportements que la société leur prête. Ainsi, J-B. Mabire et O. Agli entendent que « La société doit aussi permettre aux âgés d’être inclus socialement » afin de leur donner, à eux et à la société dans son ensemble, une image plus positive.


La dimension sociale est aussi très importante dans l’accompagnement des personnes âgées. Même si elles peuvent avoir moins de relations que les plus jeunes et faire plus souvent « l’expérience de solitude », elles compensent parfois par un réseau social de plus grande qualité. Seulement, la détérioration de l’autonomie (perte d’audition, de vision, difficultés à se déplacer, troubles de l’élocution, etc.) peut nuire à la sortie de l’isolement.

Or, insistent J-B. Mabire et O. Agli, la santé sociale joue un rôle primordial dans le vieillissement, impactant la santé physique, psychologique et les capacités cognitives. 



La nécessité d’individualiser l’accompagnement du vieillissement


J-B. Mabire et O. Agli soulignent l’importance de la singularité de chaque personne âgée. Il n’existe pas un, mais des vieillissements. Les capacités motrices et les éventuelles pathologies tendent à rendre cette hétérogénéité encore plus prégnante. 

Les aînés n’appréhendent par exemple pas tous de la même manière le sujet de la mort : « être conscient de sa propre mort peut ne pas être un frein pour certains et être source d’angoisse pour les autres ».

Ils insistent alors : « l’accompagnement doit donc être personnalisé », mais pour cela, il faut lever le « tabou » trop souvent présent dans les structures d’accueil et d’accompagnement.


L’hétérogénéité de la population âgée nécessite aussi une hétérogénéité des activités et des outils proposés. En effet, afin de remplir les rôles mentionnés ci-dessus, les activités sociales doivent être adaptées aux centres d’intérêts et aux capacités de chacun, de sorte à optimiser le bien être, la sociabilité et le sentiment d’utilité. 



Les établissements et services médico-sociaux (ESMS) du grand âge face aux défis de terrain.


Pour parvenir à accompagner correctement les personnes âgées, les structures concernées peinent à trouver les ressources humaines et matérielles.

Le 24 septembre 2024, une mobilisation nationale a été organisée dans de nombreux ESMS (EHPAD, services à domicile, EHPA, résidences séniors…) à l’appel de la Fédération Nationale des Associations de Directeurs d’Établissements et services pour Personnes Agées (FNADEPA), dénonçant la crise traversée par le secteur.


En effet, selon une enquête menée par la Fédération, ce sont 64% des ESMS qui manquent de personnel, principalement parmi les métiers du soin (Infirmières Diplômées d’Etat, médecins et infirmiers coordinateurs etc.).

Ainsi, ce sont près de 73.5% des postes d’aide-soignante qui manquent à l’appel en septembre 2024. Le manque de personnel dans les établissements est explicable par de multiples facteurs. Selon Guillaume Marzocchi, directeur de la FNADEPA, la raison principale n’est pas spécifique aux ESMS, puisqu’il s’agit de la volonté, pour travailleurs actuels, de concilier vie privée et professionnelle. Mais cette tendance est amplifiée, explique-t-il, par le fait que le secteur est majoritairement féminin et par les horaires contraignants incluant des horaires de week-end voire de nuit. Enfin, du fait de la précarité de l’emploi, certains membres du personnel cumulent plusieurs emplois (parfois très divers), sans coordination entre les employeurs, ce qui rend encore plus difficile l’adaptation aux contraintes horaires.


Afin de subvenir au manque de main d’œuvre, le recours à l’intérim est important puisqu’environ 60% des ESMS embauchent des intérimaires au moins une fois par mois. Le chiffre est de 30% lorsqu’il s’agit d’y faire appel au moins une fois par semaine. Or, le recours à l’intérim entretient un turnover important des effectifs auprès des personnes âgées, lesquelles font souvent face à de nouveaux visages. Les relations sociales avec le personnel peuvent alors s’en trouver dégradées, les séniors étant souvent confrontés à de nouveaux visages. Aussi, comme l’ont noté J-B. Mabire et O. Agli, l’accompagnement doit être individualisé et doit se baser sur les capacités et les intérêts de chacun, ce qui est rendu difficile lorsque les accompagnants ne connaissent pas les résidents, leurs habitudes, leurs parcours de vie, leurs centres d’intérêt, voire leurs situations familiales.


De plus, le recours à l’intérim accroît les difficultés de recrutement.  En effet, censé être un moyen de combler les lacunes, l’intérim fait de la concurrence aux autres types de contrats. Pour G. Mazrocchi, la forte rémunération à court terme et le sentiment de liberté incitent certains travailleurs à préférer ces emplois précaires. Toutefois, précise-t-il, une autre part des travailleurs reste attachée à la stabilité que procure le CDI. Les intérêts des salariés sont alors marqués par une forte diversité. 


Le manque de stabilité du personnel n’est pas le seul obstacle à l’accompagnement des personnes âgées en vue de leur bien-être. Les emplois pérennes pâtissent aussi des difficultés d’emploi. Effectivement, les travailleurs en poste comblent les heures vacantes, ce qui génère une fatigue et nuit alors à la qualité du travail ainsi qu’au bien-être des professionnels. Pour G. Mazrocchi, la formation est aussi un axe important pour favoriser l’emploi et la qualité de ce dernier. Il reconnaît un manque de prise en compte du care (savoir-être, attention portée au bien-être) au profit du cure (les soins physiologiques) dans la formation des professionnels. Il admet toutefois une lente mais certaine amélioration des formations professionnelles dans le sens d’une meilleure prise en compte des besoins psychosociologiques des personnes âgées.


Les ESMS doivent trouver un juste équilibre entre le bien-être des résidents et la satisfaction des attentes diverses des salariés. Mais pour G. Mazrocchi, la satisfaction des intérêts de chaque acteur est réalisable, et ce à travers la formation. En effet, la FNADEPA propose aux pouvoirs publics d’expérimenter l’augmentation du budget de certaines structures afin de mieux recruter, d’assouplir les horaires et de rendre les professions plus attractives. Cette re-budgétisation passerait en grande partie par un meilleur accès aux formations et par l’amélioration de la qualité de celles-ci. 


Yann Bertrand


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