L’escalade diplomatique entre la France et le Mali : un conflit analysé sous tous les angles.
- Éditions Respublica
- 30 oct. 2021
- 6 min de lecture
Le Mali, vitrine démocratique face à une Afrique montrant des problèmes de démocratisation, connaît depuis 2013 une faiblesse dans son régime. Cette faiblesse porte alors la responsabilité de la montée de mouvements radicaux qui menacent considérable

Le Mali traversé par de multiples clivages
Le Mali, auparavant une colonie française, devient indépendante en 1960 dans un contexte de décolonisation. Ce pays est traversé par le Sahel, un paysage plutôt humide, le Sahara au Nord, région aride, et au Sud, Bamako se situe dans un climat humide propice à l’agriculture. Ce focus sur ces différents climats traversant la Mali est primordial pour comprendre ce qui déchire ce pays. En effet, le Nord et le Sud divergent sur tant d’aspects que cela mène à des conflits.
Le Sud est traversé par la vallée du fleuve Niger permettant le climat soudanien. Ce climat permet alors au sud du Mali de bénéficier de zones agricoles excédentaires. Le Nord est, traversé par le Sahel et le Sahara, déficitaire sur ses zones agricoles à cause de ce climat aride. Avec les divergences de climat s'ajoutent la différence de population. Le Sud regroupe 91% de la population malienne, à l’inverse le Nord n’en compte que 9%. Dans cette population malienne vit plusieurs tribus permettant de comprendre le conflit qui se joue en ce moment-même au Mali. Le Sud abrite des populations sud-sahariennes, le Nord connaît des tribus arabo-berbères composées d’arabes et de touaregs. Ces touaregs, peuple nomade et berbérophone, représentent 10% de la population et vivent sur plusieurs territoires limitrophes au Mali : l’Algérie, le Niger, et le Burkina Faso. Ce peuple refuse que son territoire de « nomadisation » soit divisé ou intégré dans des pays dans lesquels ils ne se sentent pas intégrés. Ainsi, depuis l’indépendance du Mali, ce peuple refuse leur incorporation dans le territoire malien jusqu’à mener des rebellions. Le Nord Mali apparaît alors comme non-intégré au territoire ce qui peut expliquer comment le pays a pu se scinder en deux parties.
Le 22 mars 2012, le Mali connaît un coup d’Etat de l’armée à Bamako. Un mois après, le Nord fait sécession et déclare se nommer Azawad. Cette sécession est menée par un groupe de touaregs nommé par MNLA, puis cette sécession est reprise par un groupe de salafistes. Ainsi, ces touaregs, auparavant dans un islamisme rigoriste et non-violent, deviennent adeptes du djihadisme armé. Ce bouleversement est dû à des facteurs religieux mais également à des facteurs sociaux et économiques face à un Etat failli et lointain incapable de répondre aux revendications du Nord Mali. De plus, la présence d’« Al Qaïda au Sahel et au-delà » trouve son bastion dans la région d’Ifoghas au nord du Mali. Cette région est alors au cœur de trafics en tout genre : migrants, armes, drogues, tabac… Ainsi le 5 janvier 2013, Azawad rejoint par le mouvement « Al Qaïda au Sahel et au-delà » tentent une offensive vers le Sud et prennent la ville de Konna. Vive réaction de la communauté internationale manifestée par la crainte d’une prise de Bamako par les rebelles. C’est alors que commence l’opération Serval. Cette opération lie les militaires français, les maliens mais également la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Cette communauté par l’opération conduit la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), remplacée plus tard par la MINUSMA sous conduite de l’ONU. L’opération Serval permet une réduction de la menace des djihadistes. Toutefois, la région ne parvient pas à se stabiliser. C’est ainsi que démarre la seconde opération française nommée Barkhane, en 2014, en partenariat avec cinq pays africains : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad. Cette mission a pour but de lutter contre le terrorisme dans toute la région du Sahel.
Août 2020, nouveau coup d’Etat au Mali porté par le colonel Sadio Camara, un second interviendra en mai 2021. Le président Ibrahim Boubacar Keïta est renversé. Assimi Goïta lui succédera en tant que président du Comité national pour le salut du peuple, puis comme chef de l’Etat du Mali pendant un mois. Il est en ce moment même le président de la Transition de la République du Mali. En effet, suite à ce coup d’Etat, le Mali entre dans une phase de transition afin de reconstituer un gouvernement. Choguel Maïga est désigné comme premier ministre. C’est ce dernier qui entamera une crise diplomatique avec la France.
Au lendemain de la mort du soldat français Maxime Blasco le 24 septembre dernier, la communauté internationale a vu surgir une étonnante réaction du premier ministre malien à la tribune des Nations Unies. Effectivement, Maïga accuse la France d’un « abandon en plein vol » après la décision d’Emmanuel Macron de réduire les effectifs des soldats présents pour l’opération Barkhane. Florence Parly, ministre des armées, est montée au créneau affirmant que la présence de 5000 soldats français et la mise en avant de technologies dernier cri n’était pas vraiment l’attitude d’un pays qui voulait s’en aller. Cette accusation de Maïga est surtout un prétexte pour pouvoir négocier avec Wagner : une entreprise privée paramilitaire russe déjà présente en Afrique. La volonté de la France étant de réduire ses effectifs, cette société se présente comme une alternative à cette présence française. Néanmoins, la France met en garde contre cette alliance et surtout contre ce qu’elle causerait. La France est très claire ; si alliance il y a, le Mali elle quittera. La rupture commencera par le nord du Mali. Étant un territoire vaste, montagneux, complexe et en proie à des différents acteurs armés, la société Wagner sera dans l’incapacité de le sécuriser. Non seulement cela causera la perte de la présence française, mais le Mali perdra également le soutien de la communauté internationale s'il fait appel à ces mercenaires. En effet, il est inconcevable que l’ONU et ses casques bleus acceptent de cohabiter avec des mercenaires déjà accusés d’exactions.
Ce conflit analysé par les théories
Ce conflit diplomatique entre la France et le Mali entre dans une dimension réaliste. Rien qu’avec l’intervention de la France, cela montre déjà l’importance que la puissance occidentale accorde à son ancienne colonie. En effet, intervenir au Mali c’est préserver sa puissance mais surtout ses intérêts. L’intervention au Mali n’est pas juste pour jouer au « héros » mais également pour sauvegarder ses intérêts dans la région. La présence d’Al Qaïda au Sahel et au-delà constitue une menace pour les entreprises françaises (Areva au Niger par exemple). En intervenant au nord du Mali, la France cherche à sécuriser son approvisionnement en matières premières. L’uranium au Niger approvisionne 30% des centrales nucléaires françaises. Un élément à ne pas négliger pour comprendre les causes de l’intervention française. Ainsi, il est important de citer Haus Morgenthau. Ce dernier met en avant le fait que la politique est gouvernée par des lois objectives. Ainsi, où les Etats agissent pour défendre leurs propres intérêts.
Les propos d’Emmanuel Macron « Nous sommes là parce que l’Etat malien l’a demandé », peut référer à la conception mise en avant par Hobbes. En effet, cet auteur insiste sur la possibilité de sortir de l'État de nature (état de guerre permanent) en nouant un pacte de protection. Néanmoins, la signature de ce pacte fait abandonner aux Etats une part de leur souveraineté. Cette théorie est applicable à ce conflit. À raison d'une protection de la France, le Mali n’est plus libre d’entretenir des relations avec les partenaires qu’il souhaite. C’est une perte de souveraineté.
Cette crise diplomatique entre également dans une conception « néocolonialiste ». La presse malienne est extrêmement virulente à l’égard de la France. En effet, certains journalistes maliens reprochent à la France cette décision faisant suite aux négociations avec Wagner. Ils affirment que le Mali est libre de contracter avec qui il le souhaite. Il est reproché à la France d’avoir poursuivi sa politique néocolonialiste. La France, en se présentant comme un sauveur contre les terroristes, paraît désormais comme un envahisseur exploitant les ressources maliennes (régions riches en matières premières). Ainsi, face à l’oppresseur français, les militaires au pouvoir peuvent compter sur une partie de la population mobilisée autour de discours anti-impérialistes. Cette présence française est jugée par la population du Sud du Mali comme inefficace contre les djihadistes. Cette vision n’est pas partagée par le Nord du Mali vivant le conflit. Pour les habitants du Nord, le retrait de l’opération Barkhane fait peur. Les civils, vivant dans cette insécurité quotidienne, témoignent de l’incapacité de l’armée malienne d’assurer leur sécurité une fois les français partis. En effet, dans ces espaces conflictuels, l’absence totale de l’Etat malien se fait ressentir. Ainsi, pour beaucoup, ils espèrent que l’escalade diplomatique qui se joue en ce moment entre E. Macron et C. Maïga ne détruira pas le soutien français.
Mais ce conflit diplomatique ne risque pas de se résoudre tout de suite. Récemment, le président français a souligné que la légitimé du gouvernement actuel était « démocratiquement nulle » du fait des deux coups d’Etat successifs. Des propos enrageant le pouvoir malien. Il est alors difficile de voir une fin heureuse dans cette crise. Ce conflit montre que le comportement du gouvernement malien, conscient d’une insécurité existante mettant à mal les populations du nord, est régi par une volonté plus forte de se défaire de l’ancien colonisateur au profit de nouveaux acteurs.
Margot LE FELT
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