Vers une nouvelle virilité ?
- Ronan Gouhenant
- 11 mars 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 sept. 2020
Cet article s'inscrit dans le cadre de la Semaine Contre le Sexisme ayant eu lieu du 9 au 15 mars 2020.

Apparemment, un garçon deviendrait un homme avec sa première bière, sa puberté, sa première fois. On ne naîtrait pas homme, on le deviendrait. Puis on l'exprimerait. Et par voie de conséquence, on ne naîtrait pas « viril » on le deviendrait.
Néanmoins, la virilité, cette virilité, est une pure construction culturelle, psychologique et sociale, imposée avec plus ou moins de vigueur selon les époques, et qui s’appuie sur des critères variables et fluctuants. C’est la construction culturelle des attributions du masculin. Le « modèle archaïque dominant », comme l’appelle l’anthropologue Françoise Héritier, n’a que très peu changé.
La virilité, c’est la description de ce qui fait l’homme dans l’homme. Étymologiquement, « vir » la force s’oppose à « femina ». Ce « vir » est également lié au mot « virtus », qui signifie autre que la vertu également l’ensemble des qualités qui font la valeur de l’homme moralement et physiquement : les mérites, les talents, la vigueur et la bravoure.
Ainsi, le sentiment de virilité se serait construit autour de la force physique, du courage de l’héroïsme guerrier ainsi qu’autour de la domination des autres et de la puissance sexuelle. Et ce dès l’Antiquité.
La virilité se réfère à un modèle ancien, dont il s’agirait d’assurer la perpétuation ou la renaissance.
Il est commun dans l’effervescence féministe de ces 50 dernières années d’entendre parler de crise de la virilité. C’est d’ailleurs le fil d’ariane de cet article. Or, lorsque l’on parle d’un affaiblissement de la virilité, on ne parle pas d’un phénomène propre à la modernité : il y a toujours eu des discours sur le déclin viril : Homère, dans l’Iliade, s’inquiète de la faiblesse des nouvelles générations. Alors que durant la Renaissance, le chevalier – être brute – est remplacé par un homme goûtant les manifestations littéraires et l’amour courtois, Montaigne avance une nouvelle crise du sentiment de virilité en déplorant le recul de la force des vaillances et des vigueurs et privilégie le sauvage au courtisan efféminé. Pendant les Lumières la virilité comme domination de l’homme sur l’homme est remise en cause pour la première fois. Toutefois la domination de l’homme sur la femme reste sans retenue. Le combat viril persiste dans les lieux de l’entre-soi masculin.
Alors, parler d’une crise de la virilité au 20ème siècle apporte-t-il un regard nouveau ? Ou doit-on y voir un cycle ? Cet argument n’aurait-il pas qu’une portée relative face à l’histoire ? En regardant plus précisément la société à ces différentes périodes, un réel espoir peut se fonder quant à une redéfinition de ce concept.
En effet, les guerres mondiales apportent un élément nouveau : la femme s’émancipe et le mythe de l’homme viril défendant et pourvoyant aux besoins du foyer est mis à mal. Face à cela s’érigeront des résurgences viriles qui s’illustreront par les montées du fascisme (« débordement délirant d'une fantasmatique de corps virils jusqu'à l'acier ») et le développement de simulacres de virilité. De même le machisme, le sexisme et l’antiféminisme se développeront. Toutefois ces éléments n’enrayent pas la dynamique et interrogent l’idéologie virile : l’émancipation féminine appelle une redistribution des rôles et une redéfinition de la virilité. Le développement des études sur le genre voit d’ailleurs le développement du masculinisme et de la féminité.
De plus, des mouvements conscients et concertés appellent à déconstruire le mythe de la virilité. La psychanalyse, l’anthropologie, les sciences humaines s’en emparent. Le féminisme et l'émancipation homosexuelle ont aussi apporté une relecture des mythes virils. La virilité n’est pas morte, mais de nouvelles questions ont émergé.
Un autre point mérite d’être souligné pour appuyer la nécessité d’une redéfinition : la définition de la virilité, à son origine, a toujours été double. Si elle concerne la hiérarchisation des hommes, elle concerne également la domination sans partage des femmes. La virilité se définit par rapport à un autre : les hommes dominent les femmes, et cherchent à se dominer entre eux : des contremodèles sont érigés. Par exemple, l’homosexualité. Si être homosexuel et manquer de virilité n’ont pas lien, certains l’ont avancé afin de se targuer de leur hétérosexualité comme d’un signe de virilité. Compte tenu de la place des femmes dans la société, du développement du paritarisme et de l’acceptation de l’homosexualité dans la société, il est essentiel d’actualiser tout concept à cet aune.
Il est vrai qu’historiquement le travail joue un rôle central dans la construction de l’identité masculine tandis que l’identité féminine est liée au corps érotique et à la maternité. Le genre est porteur d’une logique : les hommes sont reconnus comme tel pour ce qu’ils font, les femmes sont reconnues comme telles pour ce qu’elles sont. Toutefois cela n’est plus vrai. Et ce depuis de longues décennies dorénavant.
La force physique, le développement musculaire ou la compétitivité sexuelle sont des faits archaïques. Notamment dans la définition de la virilité. Toutefois, si la virilité est un uniforme ancestral perçu négativement aujourd’hui, tous ne sont pas prêts à la quitter. Certains se recréent un univers, d’autres s’accrochent à ces symboles archaïques ne voulant pas quitter la « résistance rugissante du mâle ». Mais il convient d’avancer qu’une adaptation est primordiale. La virilité est devenue abusive. L’exaltation de la performance sexuelle résumée à son caractère phallique, l’exubérance des comptes prônant le narcissisme à outrance, la course aux likes ou encore l’affrontement « qui a la plus grosse » ne font que ridiculiser un patriarcat pesant déjà bien mis à mal. Dans cette volonté de changement, l’apparition et le succès de comptes sur les réseaux sociaux comme @tasjoui ou @tubandes sont à propos dans cette quête de redéfinition.
En guise de péroraison, posons que le constat est évident : quitter l’uniforme n’est pas une si mauvaise chose, tant ce carcan est pesant et s’en débarrasser permet l’expérience d’une nouvelle légèreté. Considérant la virilité comme un ensemble de valeurs, elle ne doit pas être liée au sexe masculin mais elle doit circuler : les valeurs considérées comme viriles n’ont pas de sexe.
Ronan Gouhenant
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