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Une difficile survie des cafés concerts Rennais

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020


« Le sam’di soir, après l’turbin

L’ouvrier Parisien

Dit à sa femm’ : comme désert

J’te paie l’café-concert »


Ce vieux refrain de « Viens, Poupoule ! » interprété par Mayol, se veut l’un des plus célèbres et illustres des cafés concerts. Ces derniers sont à la base décrits comme des débits de boisson organisant des concerts musicaux dans l’une de leurs salles. En somme, des établissements aptes à vendre de l’alcool accueillant des chanteurs, musiciens, opéras.


L’implantation des cafés chantants en France a été rendue possible par la Révolution. En effet, les théâtres royaux avaient la mainmise sur tous les spectacles ou lieux de divertissement avant 1789. C’est à partir de 1791, avec l’abolition du monopole des théâtres de privilège, que les caf’conc vont naître à Paris. Que ce soit boulevard de Strasbourg, boulevard Saint Denis ou aux Tuileries, les cafés chantants vont voir le jour dans la capitale.

Néanmoins, tant sous l’Empire que sous la Restauration, la pérennité des caf’conc est mise à rude épreuve. En effet, par le biais de trois décrets, Napoléon rend caduque l’existence de ces nouveaux lieux de divertissement. Il détermine et contrôle les genres musicaux de chaque établissement dans un premier temps, puis rétablit le monopole des théâtres de privilège. La révolution de 1848 permet une libéralisation sociétale et par ailleurs une renaissance des cafés concerts. L’abolition des privilèges théâtraux de 1864 marque la période d’apogée des caf’conc, en permettant à ce loisir de se diffuser partout en France et en Europe. La IIIème République vient généraliser cette tradition. Bien que ces types d’enseignes tendent à décliner de par l’arrivée du cinéma ou des music-halls, les cafés concerts résistent grâce à l’émergence de la culture Anglo saxonne.

Les cafés chantants, au-delà de leur rôle divertissant, marquent l’émergence de certains artistes passant des cafés concerts, aux music-halls voire plus tard au cinéma. Mais ces derniers donnent également lieu à l’émergence d’une culture populaire dont s’inspirera la chanson française. Les cafés concerts, bien qu’ils accueillent une clientèle hétéroclite, permettent l’apparition d’une idéologie divergente au régime. Dans un premier temps, en tant que lieu d’organisation ouvrière, mais aussi par l’apparition de la culture rock anglo-saxonne au XXème siècle. Les cafés concerts deviennent alors facilement des lieux de réflexion politisés, critiques des politiques en place.


Cette histoire des cafés concerts est aussi une histoire plus locale. Dans les années 1980, la première vague de culture punk déferle sur la France et notamment… à Rennes ! Les bonnets rouges ou la révolte du papier timbré en témoignent, Rennes est profondément marquée par l’idéologie contestataire. Cette tradition révolutionnaire explique d’autant plus l’implantation facile des cafés concerts rock'n rollesques dans le centre ville. La capitale Bretonne peut même se vanter d’avoir été la capitale du rock en France à l’instar du groupe local Marquis de Sade. Aujourd’hui, de nombreux caf’conc tel que le Ty Ana Tavarn, le Bar’Hic, le Papier Timbré, le Mondo Bizarro ou le bistrot de la Cité peuvent se revendiquer héritiers de cette culture tout en restant des lieux de réflexion sur le monde.


Néanmoins, ces endroits, propres à l’identité Rennaise, pourraient cesser d’exister à l’avenir. En décembre 2019, le « Collectif Rennes Concerts en danger » (CRCD) alertait dans une tribune le poids de la municipalité qui pèse sur leurs épaules : « Quand Rennes brandit la démocratie culturelle et se gargarise d’être une « ville-rock » pour faire joli dans ses dépliants destinés aux parisien.ne.s, en réalité, elle entreprend un travail méthodique de destruction culturelle et de muséification de son centre-ville ». Dans une optique de gentrification du centre-ville, les cafés concerts sont de plus en plus mal vus par certains habitants. En effet, de nombreuses plaintes dues au bruit des concerts sont déposées par le voisinage, forçant les patrons de ces lieux culturels à entamer des travaux de réaménagement acoustique très coûteux. Dorian, barman dans un de ces types d’établissements, dont on ne divulguera pas le nom dans un souci de prévention, nous livre son ressenti : « Il y a eu une évolution au niveau des normes. On ne peut pas vivre en centre-ville comme en campagne ». En vue des municipales, Dorian souhaite que « la Mairie s’implique davantage dans les conflits avec le voisinage ».


En abordant le sujet de la place des cafés concerts, Dorian se voulait pessimiste quant à leur pérennité : « Il y a une pression sur nos enseignes d’une part de la Mairie mais aussi de la police ». Aline, elle aussi serveuse dans un autre café-concert du centre-ville, partage ce point de vue : « Les cafés chantants ont reçu des lettres de la Mairie afin d’éviter les concerts. De plus, la Mairie a fait un recours administratif mais cela n’a pas fonctionné ». Par ces actes, la municipalité ou encore la préfecture Rennaise aimeraient évincer les scènes locales du centre-ville dans des buts multiples : gentrification du centre-ville, diminution de l’idéologie révoltée (révolutionnaire, anarchiste). Si les recours administratifs n’ont pas fonctionné dans le café d’Aline, le Papier Timbré, lui, a pu en faire les frais. En effet, ce bar chantant situé rue de Dinan, a subi une fermeture administrative d’un mois, contre laquelle ils ont victorieusement fait appel.


La place des cafés concerts dans le centre-ville rennais semble concomitamment compromise avec le temps. Aline se veut pessimiste : « Dans 10 ans, il n’y aura plus de cafés concerts dans le centre de Rennes. En effet, la Mairie refuse l’ouverture de bars ». Plus qu’un problème de forme, un client présent durant l’interview se penche sur les conséquences futures : « Avec la fermeture des bars il n’y aura plus réellement d’échanges, plus réellement d’idéologie… ». Dorian se veut quant à lui plus optimiste : « Les bars comme les nôtres ont leur places dans le centre-ville » et encourage les initiatives de ce genre à perdurer.


Bien que ces endroits fassent parti du patrimoine Rennais, ces établissements peuvent faire « tâche » aux yeux de la municipalité ancrée dans une volonté de réhabilitation bourgeoise du centre-ville. Par cela, « l’ex capitale du Rock français » pourrait voir ses derniers héritiers disparaître dans les prochaines années si rien n’est fait pour protéger ces établissements propres à la culture rennaise. Cette détermination à vouloir faire disparaître ces enseignes soulève aussi le problème de la diversité des profils au sein de la ville. Bien que le centre-ville soit habité par une multitude de personnes aujourd’hui : étudiants, CSP +, punks ; fermer les caf’conc ouvrirait la voie à une uniformisation des silhouettes et des genres. Enfin, ces lieux, comme le montre le CRCD, peuvent être les derniers vrais espaces de dialogue et d’hétérodoxie, protégeant ainsi une mixité idéologique et un vent contestataire aux abords de la place Saint Anne. Il serait intéressant de terminer ce papier en citant Dorian : « Il faut une place pour ceux qui ont des choses à dire ».


Louis Jéhannin

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