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Le street art, ou l'art de bousculer notre société

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020



Le street art ou art de rue s'affirme à la fin du XXe siècle, plus précisément vers la fin des années 80. Il est considéré comme un courant artistique visant à créer des œuvres d'art ayant pour support l'espace public (mur, banc, train...).

en ce qu'il touche un public large tout en affirmant un message politique fort.


«LES PLUS GRANDS CRIMES DU MONDE NE SONT PAS COMMIS PAR LES GENS QUI BRISENT LES REGLES, MAIS PAR DES GENS QUI LES SUIVENT. CE SONT CEUX-LA MEMES QUI BALANCENT DES BOMBES ET RASENT DES VILLAGES ENTIERS »

BANKSY


Le street art malgré sa popularité est un art qui reste très précaire, notamment du fait qu'il est illégal. Les œuvres sont donc pour la plupart éphémères car généralement détruites par les autorités municipales. De même les artistes encourent de lourdes peines. On peut citer l'article 322-1 du Code Pénal « (...) Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger. ». Ce qui pousse les artistes à travailler la nuit ou encore à cacher leur identité, on pense alors à Banksy. De même le street art n'a pas la même légitimité que l'art classique. Il est alors dommage de ne considérer une œuvre d'art que lorsqu'elle est dans le cadre traditionnel du musée. Mais c'est pourtant l'avis d'une partie de la population qui considère ces œuvres comme des dégradations à l'espace public. Il est d'ailleurs compliqué d'attribuer un statut juridique au street art, le droit variant selon chaque pays.


Cependant ce mouvement artistique bien que fragile mérite notre attention. Tout d'abord parce qu'il se veut original. Les artistes utilisent diverses techniques, différents styles, chacun imposant sa propre identité, sans imposer des règles précises comme ce fut souvent le cas dans les divers courants artistiques. On peut notamment évoquer l’œuvre «M.Chat » de Thoma Vuille représentant un chat jaune peint à la peinture acrylique sur des endroits généralement très difficiles d'accès.


Le street art n'est pas que surprenant pour son originalité, c'est aussi un art ouvert à tous. Ce qui casse alors les codes d'un art accessible à une minorité. On pense à P.Bourdieu qui a théorisé l'idée de « capital culturel » qui le définit comme «les biens culturels qui sont transmis par les différentes actions pédagogiques familiales». Or cet ensemble de ressources culturelles est inégalement répartie. L'intérêt et la sensibilité pour l'art se construisent généralement dans les milieux favorisés ; à l'opposé les individus défavorisés se sentent généralement illégitimes à aller au musée. L'art de rue en s'imposant dans notre lieu de vie s'intègre dans notre quotidien. C'est d'ailleurs le but des artistes, rentrer dans nos vies de façon spontanée tout en renvoyant un message simple et compréhensible. Mais ceux-ci cherchent aussi à englober le plus de personne possible, ce qui pour une fois permet à chacun d'accéder à l'art et la culture.


Si la plupart des œuvres sont très esthétiques, en réalité derrière chacune d'elles se cachent des arrières- pensées revendicatrices voire politiques. Comment ne pas citer alors le fameux Banksy ! Cet auteur anonyme se fait connaître dans les années 90 notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il commence à peindre à main levée mais finira par opter pour le pochoir. En plus de faire de l'art de rue il a également fait des expositions ainsi qu'un film « Faites le mur ». Il aime dénoncer et critiquer notre société actuelle avec une palette de revendications qui se veut large : anticapitaliste, dénonçant la société de surconsommation, la surveillance excessive du gouvernement, en passant également par la dénonciation de la situation palestinienne à Gaza. «Rage, the flower thrower » est d'ailleurs l'une de ses œuvres les plus connues appelant à la paix, l'artiste étant connu pour son combat pacifiste. L’œuvre, présente à Jérusalem, représente un individu dans une position de manifestation, cependant à la place d'un cocktail Molotov on trouve dans ses mains un bouquet de fleurs. Message très beau qui commémore de façon poétique et percutante la mort des civils victimes de la guerre. De même «Nola (girl with umbrella) » est également une œuvre incontournable commémorant les dégâts de l'ouragan Katrina frappant La Nouvelle-Orléans le 29 août 2005. Banksy dénonce également le manque de dynamisme du gouvernement pour aider les familles à se reloger, de même certaines entreprises auraient tiré profit de cette catastrophe pour s'enrichir personnellement. Banksy pointe ici du doigt l'utopie du « rêve américain ».


On oppose théoriquement l'art classique à l'art urbain.Cependant ce dernier s'inspire des œuvres traditionnelles, les artistes s'approprient les œuvres de leurs aînés en les remaniant à leur manière, en les revisitant. Les buts étant divers, on peut tout de même y voir une volonté de redonner un nouveau visage à l'art en le sortant des murs des musées. Loin de bannir les œuvres du passé, l'art urbain leur redonne vigueur et jeunesse notamment en leur rendant hommage, comme le montre le nombre important de reprises de la Joconde. L'artiste français Combo, apporte une touche humoristique à la figure de Napoléon, en reprenant le fameux tableau « Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard » fait entre 1800 et 1803, par Jacques-Louis David. Il le représente avec le maillot de l'équipe de France de football, afin de fêter la victoire de 2018. L'art classique est aussi source d'inspiration pour les artistes qui comme Banksy revendique une affirmation politique. C'est le cas de Goin, se servant de la Vénus de Milo, pour dénoncer la dureté de l'UE vis-à-vis de la Grèce. Paradoxe intéressant du fait que la Vénus de Milo renvoie à la richesse passée de la Grèce antique.


Hélas même dans l'art de rue les entreprises et actionnaires essayent de se faire de l'argent. Le marché du street art est un marché florissant toujours autant en expansion, les œuvres se vendant à des sommes exorbitantes. Comme le dit d'ailleurs le journal Le Monde en évoquant le fait que « D’après la base de données Artprice, il s’est vendu en 2019 plus d’œuvres de Kaws (712 lots) que de toiles de Jean-Michel Basquiat (63 lots) ». Même Banksy aurait cédé à la tentation en 2007 en vendant une de ses œuvres chez Sotheby's en 2007. Mais pour celui-ci et son équipe, ils déclarent bénéficier de cet argent pour continuer l'art de la contestation. Banksy à cela rétorque « je n'en reviens pas que vous puissiez acheter des merdes pareilles, bandes de débiles ». On en tire de tristes conclusions, société où tout se vend et s'achète, représentative du capitalisme libéral. C'est pourtant un art qui se veut à ses origines, non monnayable et ouvert à tous avec une volonté d'affirmer un discours. Mais qui est pourtant réduit au rang d'objet accessible, si on a de l'argent.


On peut tout de même clôturer sur une touche positive avec l'anecdote de la célèbre œuvre «la petite fille au ballon ». Œuvre symbolique, singulière et commémorative des victimes de la guerre en Syrie. Cette œuvre a été mise aux enchères le 5 octobre 2018 à Londres. Mais à peine le marteau venait de signaler la fin de la vente s'élevant à 1,2 million d'euros, qu'un mécanisme interne a déchiqueté la toile. L’œuvre par une sonnerie, s'est directement autodétruite sous le regard médusé du public. L’artiste en question a directement partagé la vidéo de l'événement en commentant « adjugé, vendu... ». Cet événement souligne peut-être d'une certaine façon la guerre lancée par Banksy au marché de l'art, et l'ironie avec laquelle il joue avec la société. On peut y voir une note d'espoir, l'art traverse les siècles et signe notre passage sur terre, à nous d'y laisser dans cette société égoïste et destructrice une trace combattante.

Hannah Leruste

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